Les
raisons légitimes du peuple sahraoui (I)
octobre
6, 2018 -
Le Sahara Occidental occupé depuis le 14 novembre
1975. D. R.
Par Luis
Portillo Pasqual del Riquelme(*) – Plus de 42 ans se sont écoulés depuis que le
Maroc a expulsé l’Espagne du Sahara Occidental et s’y est substitué, par le feu
et par le sang, dans le rôle de puissance coloniale et de pays occupant.
Cette manœuvre a pu être menée
avec l’assistance stratégique et la bénédiction d’Henry Kissinger, alors
secrétaire d’Etat des Etats-Unis, et elle a pris la forme de la tristement
célèbre Marche Verte, par laquelle le roi du Maroc envoya 350 000 de ses
sujets civils à la frontière nord-ouest du Sahara espagnol (novembre
1975). Quelques jours auparavant, sans aucune publicité, les troupes marocaines
pénétraient dans le territoire par la frontière nord-est. Hassan II profitait
ainsi sans vergogne de l’agonie du dictateur espagnol, Francisco Franco
(qui mourra le 20 novembre 1975), dont le régime caduc était très affaibli
par la longue lutte des forces démocratiques.
Reculant devant la perspective
d’un massacre de civils (les participants à la Marche Verte) et la menace d’une
guerre avec le Maroc, le gouvernement espagnol – paralysé par l’agonie de
Franco – choisit de se retirer et de laisser la voie libre aux troupes
marocaines, abandonnant à leur sort les Sahraouis (qui étaient alors citoyens
espagnols).
Après la Marche Verte, l’invasion
et l’occupation du Sahara Occidental furent formalisées, le 14 novembre 1975,
par les «accords (illégaux) tripartites de Madrid», en vertu desquels l’Espagne
cédait de façon temporaire l’administration (mais non la souveraineté) de sa
province africaine au Maroc (les deux tiers du territoire) et à la Mauritanie
(le tiers restant au sud), s’engageant à la quitter avant le 28 février 1976.
C’est à partir de cette date qu’éclata la guerre du Maroc et de la Mauritanie
contre le Front Polisario. Les militaires marocains persécutèrent et
bombardèrent la population civile sahraouie, tant dans ses localités que dans
sa fuite en débandade à travers le désert, perpétrant un horrible massacre
destiné à éliminer tout un peuple, et obligeant la population survivante à
traverser la frontière algérienne et à se réfugier à Tindouf, où une partie de
la population autochtone – qui a créé son propre Etat en exil : la République
arabe sahraouie démocratique (RASD) – survit de manière exemplaire.
Depuis lors, l’ONU (tant son
Assemblée générale que le Conseil de sécurité) a adopté des dizaines et des
dizaines de résolutions sur le Sahara Occidental, reconnaissant de manière
réitérée le droit du peuple sahraoui à son autodétermination et exhortant le
Maroc à quitter un territoire qui ne lui appartient pas et sur lequel il
ne peut faire valoir aucun titre de souveraineté.
En Espagne, après la mort de
Franco, les premiers gouvernements − de l’étape de transition à la démocratie
et l’ensemble des partis politiques de l’opposition − ont soutenu de manière
claire le Front Polisario et le peuple sahraoui dans leur lutte contre
l’envahisseur et en faveur d’un référendum d’autodétermination.
En 1991, après 16 ans de guerre,
la médiation de l’ONU et de l’OUA aboutit à un cessez-le-feu et à un accord sur
la tenue d’un référendum d’autodétermination, accepté par le Maroc. Mais depuis
cette date, après la signature d’un traité d’amitié et de coopération entre
l’Espagne et le Maroc, la position officielle espagnole a connu un changement
de cap qui se maintient à ce jour et apparaît inexplicable à la majorité de la
société espagnole, largement solidaire de la cause sahraouie.
Après diverses tentatives de
solutions au conflit, toujours rejetées par les élites gouvernantes marocaines,
finalement, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 30 avril 2007 la
résolution 1754 appelant le Maroc et le Front Polisario à des négociations
directes pour parvenir à une solution politique définitive à la question du
Sahara. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette résolution, le secrétaire
général a invité les parties à un premier round de négociations les 18 et 19
juin 2007 à Manhasset, dans la banlieue de New York. Le deuxième round a eu
lieu les 10 et 11 août. Un troisième round a eu lieu en janvier 2008.
Cette fois-ci, on avait envisagé de se réunir à Genève, siège du
Haut-commissariat des Nations unies aux droits humains (HCNUDH) et du
Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), organismes auxquels les
représentants légitimes du peuple sahraoui ont eu à recourir tant de fois pour
dénoncer les atrocités récurrentes du régime marocain. Mais la tenue des dites
négociations dans une ville européenne comme Genève aurait attiré l’attention
de toute l’Europe ; il n’est donc pas à exclure que Rabat, Washington et
Paris aient fait pression pour qu’elles aient finalement lieu à New York, loin
de l’Europe et de l’Afrique, sur le terrain des groupes de pression (lobbies)
marocains, puissants, influents et multimillionnaires, dont parlent Frank
Ruddy et Tomás Bárbulo dans leurs travaux. Ce troisième round s’est conclu
sans grande avancée et a fixé le suivant rendez-vous à la mi-mars 2008, aussi à
Manhasset.
Très récemment, fin septembre
2018, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara
Occidental, Horst Köhler, a convié le Front Polisario pour des premiers
pourparlers avec le Maroc à Genève, prévus début décembre, qui devraient
marquer la relance du processus de paix au Sahara Occidental, au point mort
depuis 2012.
Le présent
travail est né de l’impérieuse nécessité de répondre aux arguments d’un article
publié dans le quotidien espagnol El Pais, qui a semé la confusion
dans l’opinion publique espagnole et a suscité la colère dans les rangs du
vaste mouvement de solidarité avec le peuple sahraoui. Dans les lignes qui
suivent, nous réfutons point par point les principaux arguments exposés dans
cet article.
La thèse
marocaine
Le jour même
où le Conseil de sécurité adoptait sa plus récente résolution sur le Sahara Occidental
(30 avril 2007), le quotidien El Pais publiait dans ses pages
d’opinion un article de Bernabé Lopez Garcia (BLG) intitulé «Ajourner l’utopie,
défendre la dignité» qui, dans son essence, visait à justifier la position du
gouvernement marocain sur le futur du Sahara Occidental. L’auteur argumentait
que l’offre marocaine (le plan d’autonomie présenté en avril 2007) constitue
aujourd’hui une opportunité historique unique pour que le peuple sahraoui et
son territoire du Sahara Occidental s’intègrent au Maroc, dans une région à
autonomie limitée sous souveraineté marocaine. Pour appuyer son argumentation,
l’auteur comparait les concessions que le Parti communiste d’Espagne (PCE) fit
au début de notre transition à la démocratie à celles que, à son avis, devrait
faire maintenant le Front Polisario, abandonnant ainsi son droit à
l’autodétermination et à l’indépendance (comme «utopique», selon BLG).
Selon l’auteur, si le peuple sahraoui et, en fin de compte, la RASD se pliaient
à accepter ces «concessions», cela permettrait aux Sahraouis d’en finir avec la
diaspora, l’exil, la souffrance et de vivre dans la dignité. Dans le cas
contraire, concluait BLG en guise de menace voilée, le peuple sahraoui se
verrait obligé de poursuivre sa vie en exil, un exil long et douloureux qui
dure depuis plus de quatre décennies.
A mon avis, cet exposé, en plus
d’être une simple reprise des thèses marocaines, élude des questions
fondamentales et contient des arguments qui ne s’ajustent pas à la réalité, la
dénaturant totalement, comme je le signale ci-après.
1. C’est une erreur de comparer la
situation de l’Espagne et du PCE, au début de notre transition à la démocratie,
avec celle du Front Polisario et d’un Maroc envahisseur qui a prétendu
annexer de facto un territoire sur lequel il ne détient aucun
titre de souveraineté. Entre autres différences notables (un Front de
libération national est beaucoup plus qu’un parti politique et a des objectifs
politiques beaucoup plus vastes), le PCE appartient à une même et seule nation,
alors que le Maroc a envahi et occupé, illégalement et illégitimement, un
territoire étranger. Ce sont deux situations qui n’ont rien à voir et la
comparaison, en conséquence, ne peut être soutenue.
2. La crédibilité des gouvernants
marocains dans le contentieux du Sahara est nulle. L’armée marocaine a
mitraillé et bombardé les Sahraouis avec du napalm, du phosphore blanc et des
bombes à fragmentation (lancées par des avions de chasse de fabrication
française de dernière génération et des Phantom F-15), obligeant une grande
partie de la population ayant survécu au génocide − toujours impuni à ce jour –
à l’exode et au refuge forcé dans le désert algérien. Dans la province alors
encore espagnole, le Maroc a impulsé une seconde colonisation − dans le dernier
tiers du XXe siècle ! − faisant échouer en même temps le processus
décolonisateur espagnol, requis par l’ONU dès les années 1960. Dès le début,
les dirigeants marocains ont défié la légalité internationale et fait
obstruction, de manière byzantine et systématique, à la solution
internationalement reconnue pour ces processus (le référendum
d’autodétermination) ; et après une guerre de 16 ans contre le peuple sahraoui
et après avoir défait tous les plans proposés par l’ONU, le Makhzen marocain
fait maintenant l’offre unilatérale au Front Polisario − représentant légitime
du peuple sahraoui − de négocier une autonomie limitée sur la base, non
négociable, de la marocanité du territoire, sans place, évidemment, pour
l’autodétermination et l’indépendance.
(A suivre)
L. P.
Traduit par
Gérard Jugant et Fausto Giudice (Tlaxcala.org)
(*) Docteur en sciences économiques et ancien
professeur à l’université autonome de Madrid.

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